Récit de croisière sur la Volga à bord de l’un des navires de la plus grande compagnie de croisière de Russie.
Je suis en train de me faire à l’idée que ma minuscule cabine (pour une personne) ne comporte pas de douche ! Après tout, ne suis-je pas à bord d‘un navire conçu en Allemagne de l’Est en 1984, un navire d’une autre époque et aux antipodes de nos normes occidentales de confort, de design et de décoration ? Erreur, il y a bel et bien une douche, bien dissimulée entre la toilette et le lavabo de la microscopique salle de bain. indices que je finis par découvrir : un pommeau de douche remplace le robinet, un tapis antidérapant se trouve sous mes pieds et un rideau de douche permet d’empêcher de tout éclabousser quand on se décide à utiliser ce système illustrant la débrouillardise qui avait cours à l’époque du rideau de fer.
Mais qu’importe, l’ambiance festive à bord, l’abondance et l’intérêt des activités quotidiennes nous faisant découvrir l’incroyable richesse de la culture russe, les excursions terrestres (la majorité comprise dans le prix de la croisière), les deux très belles villes inscrites au programme (Saint-Pétersbourg et Moscou) et les cinq villages ou petites villes de campagne où des escales sont prévues (accessibles aux touristes que depuis la fin des années 1980) ainsi que l’équipe de guides si dévouée et du personnel de la réception nous font rapidement oublier les désagréments découlant du manque de confort de nos cabines.
Je suis à bord du Serguei Diaghilev, l’un des 13 navires de la flotte d’Orthodox, la plus grande compagnie maritime de Russie, pour une croisière de 11 nuits sur la célèbre Volga. Du nom d’un compositeur russe du XVIIIe siècle, le Serguei Diaghilev jauge 4 200 tonnes et peut accueillir 300 passagers ainsi que 125 membres d’équipage.
Se promener au travers des cinq ponts procure un dépaysement complet. À commencer par la réception, avec son comptoir d’inspiration orientale, un aquarium et un grand tableau mural reproduisant les grandes étapes de notre itinéraire. Puis, par le salon de coiffure, avec un séchoir directement extrait d’un film des années 1950. Enfin, par le mess des officiers qui se transforme, le soir venu, en salle de cinéma, avec la diffusion d’un film sur une télé à grand écran plat sur fond de buste de Lénine et d’une toile d’une grandeur disproportionnée de l’écrivain Novikov Priboï, le nom du navire au moment de son lancement.
Les couloirs du navire sont dénudés, sauf quelques rares photos aux couleurs délavées illustrant différents paysages de la Russie. Précision : les escaliers à travers le navire sont en pente fortement inclinée, ce qui rend tout déplacement hasardeux pour les personnes à mobilité réduite.
Les espaces publics sont constitués d’un bain sauna, d’une boutique de souvenirs, d’un comptoir de bijoux principalement en ambre, de deux restaurants (avec table de huit assignée en début de croisière et horaire fixe pour toute la durée du voyage) et de trois bars. Ah oui, et un cabinet médical dans lequel officie un médecin bourru, mais sympathique, ne parlant que le russe, ce qui signifie qu’il faut recourir en cas de besoin à une interprète de la réception pour qui le français n’est pas la langue maternelle.
Lors de mon passage à bord du Serguei Diaghilev au début de juillet 2011, la quasi totalité des passagers provenait de la France et du Danemark. Le grossiste français Rivages du Monde affrète régulièrement quelques-uns des navires de la compagnie Orthodox, en tout ou en partie selon la demande. Mentionnons que Rivages du Monde propose aussi des croisières fluviales sur le Danube, en Ukraine, en Croatie, en Birmanie, au Vietnam et au Sénégal (disponibles au Québec chez le grossiste Premium Tours).
Après trois jours complets amarré à un quai de la périphérie de Saint-Pétersbourg, le Serguei Diaghilev quitte les eaux de la Néva, le fleuve qui traverse cette ville magnifique. Je constate avec bonheur que mon hôtel flottant des 12 prochains jours est plutôt silencieux et stable. Des excursions comprises dans le prix de la croisière nous auront permis notamment de visiter le grandiose musée l’Ermitage ainsi que les palais Catherine et de Peterhof, surnommé le Versailles russe.
Nous avons la chance de découvrir à bord l’âme russe sous un aspect différent pratiquement chaque jour grâce, par exemple, à un cours de langue, à une dégustation de cinq vodkas (en généreuses doses, accompagnées de hareng fumé, d’oeufs de saumon, de raifort, de gruyère et de cornichons), à la projection quotidienne d’un film local ou international traitant de la Russie, à des conférences sur l’histoire socio-politique fort mouvementée de ce grand pays, à des ateliers de présentation de l’artisanat des différentes régions de la Russie.
Le clou de cette croisière sera la fête organisée pour souligner le 14 juillet qui se déroulera au pont supérieur du navire, en pleine traversée d’écluses, au son de musiques endiablées judicieusement proposées par un DJ souriant ayant revêtu un uniforme militaire, le tout avec, en toile de fond visuelle et panoramique, un splendide coucher de soleil qui s’éternise jusqu’à tard en soirée en ces nuits blanches de l’été russe. À un moment, les passagers se sont tous levés d’un bond pour danser, rendant cette fête encore plus intense et inoubliable.
Il y a possibilité de faire de belles découvertes dans les trois bars du navire. La carte comporte en effet une sélection de quelques bières locales et importées (incluant de la bière pression), quatre sortes de caviars noirs et rouges, et une vingtaine de cocktails (beaucoup à base de vodka) – dont certains fort originaux. Comme le délicieux Kalinka (ararat, liqueur de cerise et vin mousseux), l’Hermitage (gin, amaretto, jus d’ananas et vin mousseux), le Kremlin (vodka, grenadine, campari et jus d‘orange) ou le Matryoshka (vodka, gin, orange, martini rouge).
Des découvertes sont aussi au rendez-vous au restaurant. Le matin, nous avons droit à un copieux buffet généralement composé d’un choix de trois céréales, de trois saveurs de yogourt liquide, de trois sortes de jus de fruits (dont un fantastique aux baies sauvages), de trois sortes de viandes froides, d’une saucisse baignant dans l’eau, d’oeufs en croûte, de blinis avec sauce sûre, de porridge, pains, confiture, thé et café.
Tous les jours, on nous remet une feuille sur laquelle on doit choisir parmi un choix de deux entrées, de deux ou trois plats principaux (généralement un plat de poisson, de viande et végétarien) et de deux desserts pour les repas du lendemain. Ingénieux système qui permet de mieux planifier le travail en cuisine. Le choix n’est pas toujours évident, spécialement pour ceux qui n’apprécient guère les betteraves, les champignons, le chou ou la sauce béchamel.
Voici quelques exemples de plats offerts au fil des jours : filet de poulet, sauce au pavot avec couscous. Soupe aux saucisses à l’allemande. Morue à l’étouffée avec aubergines. Sarrasin aux champignons. Porc à la sauce au miel et aux oignons avec lentilles et olives. Poisson aux choux au four. Ravioli aux pommes de terre et aux champignons. Feuille de vigne farcie de viande avec sauce béchamel. Porc bouilli avec sauce tomate, orge et légumes. Morue au four aux oeufs et à la mayonnaise avec brocolis. Cuisses de poulet avec sauce aux noix et à la menthe. Boulettes de carotte au fromage blanc. Certains de ces plats ont un goût des plus agréables, d’autres ne goûtent rien en particulier, particulièrement les poissons blancs. Les desserts sont rarement excitants, se résumant souvent à une glace ou à un fruit (nature, mais une fois englué dans une gélatine transparente d’allure peu appétissante).
La carte des vins (non inclus, mais au prix raisonnable d’une vingtaine d’euros la bouteille) propose une sélection limitée de vins de différents pays occidentaux, sans référence à la marque. Je découvrirai au hasard d’une conversation avec un serveur que la petite cave du navire contient aussi des vins d’Europe de l’Est inconnus à nos palais qui méritent pourtant d’être découverts. Le tout se termine par un café assez costaud merci, servi sans délai après la fin de notre dessert. Si bien que nos repas, même du soir, ne durent généralement guère plus d’une heure. Le service est courtois, les serveurs surtout féminins sont souriants et plein de bonne volonté. On réalise que la plupart ne parlent que quelques mots de français.
Le Serguei Diaghilev comporte 150 cabines, dont deux suites et dix chambres individuelles. J’en occupe une, qui ressemble à un compartiment de train comportant un lit-banquette très étroit, une table de chevet à bascule, une armoire, une bibliothèque murale, un mini-frigo surmonté d’un comptoir, un miroir mural à l’entrée et voilà tout. Les murs sont de couleur jaune orange, le rideau recouvrant le hublot est fait d’un amalgame de motifs et de couleurs bizarres, le tapis est d’un rouge bourgogne avec losanges gris.
Durant mon séjour, j’aurai l’occasion de voir l’intérieur de l’une des suites, avec cette couverture de lit surréaliste sur laquelle sont reproduits des têtes de lions, au grand étonnement des occupants. Précision : les romantiques ne seront pas comblés avec ces deux lits séparés que l’on retrouve dans toutes les cabines, sauf les suites.
Derniers détails : l’eau dans les cabines n’est pas propre à la consommation. La climatisation disponible dans chaque cabine fonctionne de façon sporadique. Le navire ne dispose pas d’internet et la réception ne possède que quelques séchoirs à cheveux pour l’ensemble des passagers.
Durant notre croisière au coeur de l’âme russe, nous allons parcourir plus de 1 300 kilomètres et franchir 18 écluses en empruntant tantôt des fleuves, tantôt des lacs, tantôt des canaux (dont une section baptisée l’hydro-goulag du fait qu’elle a été creusée dans le cadre de travaux forcés par des prisonniers politiques travaillant dans des conditions abjectes).
Notre croisière sur la Volga se déroule bien. Mais au fait, où est ce fleuve ? Car ce n’est que six jours après l’embarquement que nous y serons. Il aura fallu entre-temps commencer par naviguer sur la Neva (le fleuve traversant Saint-Pétersbourg), puis le lac Ladoga (le plus vaste d’Europe), la rivière Svir, le lac Onega, le canal Volga-Baltique, le lac Blanc et finalement, le réservoir Rybinsk avant de rejoindre la Volga.
Des chaises en plastique sont regroupées sur le pont supérieur aux extrémités du navire, d’autres sont dispersées au hasard tout le long des deux ponts promenade. Ceux qui le désirent peuvent ainsi trouver une petite zone d’intimité. L’après-midi, il n’est pas rare de voir des passagers admirer le paysage à travers le hublot de leur chambre. Au gré de nos déplacements, nous apercevons sporadiquement des baigneurs, des campeurs, des villageois, des maisons en bois, des églises colorées avec leurs bulbes caractéristiques, quelques villes d’importance, des transporteurs de marchandises et plein de conifères. Certains passagers trouvent le paysage reposant, d’autres redondant.
Tous les jours, nous débarquons à terre. Notre itinéraire comporte cinq escales en autant de jours : Mandroga, un village reconstitué qui nous plonge dans l’univers paysan et artisanal de la Russie profonde. Certains habitants sont fort chaleureux, d’autres distants. Arrive Kiji, une petite île abritant maisons, granges et églises tout en bois, tout particulièrement la célèbre Église de la Transfiguration dont les murs et les 22 bulbes ont été construits en bois, sans recours à un seul clou !
Troisième escale campagnarde : Goritzy, petit village qui nous transporte deux siècles en arrière avec ses maisons joliment peinturées et parfois rehaussées de bois ouvragés. C’est le point de départ pour visiter le gigantesque monastère de Kirilo Belozerski, le plus important de Russie.
Changement complet de décor le lendemain quand nous arrivons à Iaroslavl, ville de taille moyenne comportant notamment des bâtiments de style stalinien érigés dans les années 1930, une mairie à l’architecture austère (devant lequel se déroulait lors de notre passage une imposante cérémonie réunissant les forces policières de la ville), un marché extérieur de vêtements et un marché intérieur de nourriture.
Le lendemain, en déambulant dans la très contrastée ville d’Ouglitch, j’ai l’impression de me retrouver dans un film d’Émile Zola relatant la misère rurale. Au-delà de la rue de front de fleuve bordée de beaux édifices, il suffit de marcher un tout petit peu pour tomber sur des maisons en bois. Deux bémols : certaines escales sont très courtes (deux heures et quart seulement à Goritzy !), en raison des grandes distances que le navire doit parcourir entre chacun des arrêts. Et les excursions proposées tournent beaucoup autour de la visite d’églises et de monastères.
Notre croisière se termine à Moscou où nous passons deux nuits, avec la visite de la Place rouge et du Kremlin au programme. Les plus curieux peuvent aussi s’offrir (moyennant supplément) une soirée au Cirque de Moscou et une autre dans le fabuleux métro (surnommé le palais du peuple par le dictateur Staline).
Après pareils spectacles et pareil voyage, personne ne pense à l’inconfort des cabines du navire depuis belle lurette.
Cet article fait suite à une invitation de Rivages du monde à bord du Serguei Diaghilev. Pour plus d’informations, consultez votre conseiller en voyages ainsi que les sites rivagesdumonde.fr et premieumtours.ca.